mardi 8 octobre 2013

Un duel dans les mémoires


        Cela devait arriver. La Nouvelle-Zélande domine le rugby mondial depuis une décennie, ce qui est sans doute inédit dans l’histoire. L’Afrique du Sud, qui est – certes – toujours polluée par des histoires raciales (sous la pression du gouvernement du zoulou Jacob Zuma, la fédération va désormais obliger les clubs à suivre des quotas ethniques), montait en puissance ces trois dernières années ; elle avait gardé une formation de qualité et celle-ci est exploitée dans sa totalité depuis l’arrivée de l’excellent entraîneur Heyneke Meyer en janvier 2012.

Cette année, Boks et Blacks ont étrillé l’Australie et l’Argentine dans le championnat sudiste des quadri nations. Tout le monde attendait la rencontre entre les deux géants du rugby mondial. Le premier test-match, joué il y a un mois, avait malheureusement été gâché par une pluie de cartons (dont un rouge). On espérait un duel au sommet pour le match retour. On n’a pas été déçu.


L’arbitre au bord de l’asphyxie


   Coups de pied d’une qualité exceptionnelle (les touches de plus de 50 mètres ont été légion), courses fabuleuses des troisième-lignes, passes magnifiques, réactions immédiates des équipes qui encaissaient des points… Il a été impossible, samedi dernier, de reprendre son souffle. A la fin de la rencontre, l’arbitre était au bord de l’asphyxie et perclus de crampes.

Exemplaire de ce match superbe, où chaque équipe a volontairement défié l’autre dans le jeu au large, est cette longue action survenue vers la cinquantième minute : suite à un regroupement en milieu de terrain et quelques passes de haute volée, un troisième-ligne sud-africain s’échappe sur l’aile et s’approche dangereusement de l’en-but adverse ; mais un trois-quarts néo-zélandais passe par là et sauve son camp en récupérant le ballon de manière inespéré. Va-t-il taper en touche ? Non. Il relance depuis ses vingt-deux mètres puis tape à suivre. Le ballon est désormais à dix mètres de la ligne sud-africaine. Un défenseur Bok récupère in extremis le cuir sous la pression des attaquants Blacks. Que fait-il ? Il relance à son tour ! Quelques séquences de jeu plus tard, les sud-africains ont déjà remonté le terrain et ils manquent pour quelques centimètres de marquer un essai !
 
Le public de Johannesburg a beau en avoir vu d’autres, c'est la folie dans le vieil Ellis Park.

   Cette partie ne s’est pas terminée dans l’intensité espérée. De manière paradoxale, le carton jaune infligé au pilier néo-zélandais Ben Franks pour un coup imaginaire donné à la 63ème minute a profité à son équipe, qui a utilisé le faux rythme qui a suivi pour placer une attaque éclair dont elle a le secret. S’en est suivi le cinquième essai Black et un écart de onze points irrécupérable au regard des efforts fournis durant la première heure de jeu (victoire finale de 38 à 27 pour la Nouvelle-Zélande).
 
S’ils voulaient vaincre les indestructibles hommes en noir, les Boks auraient sans doute dû s’appuyer davantage sur leur formidable pack d’avants plutôt que de répondre systématiquement aux attaques au large par des offensives du même type. Et s’appliquer dans les placages. Pour la deuxième année consécutive, la Nouvelle-Zélande sort invaincue du quadri-nations. Exceptionnel.

   Le retour du grand duel Blacks-Boks est une bonne nouvelle pour le rugby mondial, qui pourra désormais s’évaluer contre deux références et non plus une seule (la Nouvelle-Zélande).


Insupportables Gallois


   C’est avec impatience que l’on attend les Tournées de novembre. Qui pourra rivaliser ? Les Anglais, assurément, qui montent en puissance depuis un an et demi.

C’est pourtant sur les Gallois que tous les regards se tournent. Et pour cause : vainqueurs du dernier Tournoi, ils ont formé l’ossature du Quinze des Lions britanniques qui a remporté la tournée en Australie il y a trois mois.
Seuls, les Gallois ont néanmoins beaucoup de mal à vaincre les pays du Sud. Depuis qu’ils ont réussi le Grand chelem en 2005, ils n’ont arraché que deux courtes victoires à domicile face à l’Australie. En huit ans, ils ne sont parvenus à inquiéter l’Afrique du Sud qu’à deux reprises, et se sont très souvent fait étriller par la Nouvelle-Zélande. En voyage en Australie l’an dernier, ils avaient manqué (de peu) une belle occasion de rapporter enfin une tournée victorieuse de l’hémisphère Sud, malgré la faiblesse des Wallabies.
 
L’irrégularité des Gallois dans le Tournoi ne les aide pas. Difficile dans ces conditions d’en faire une référence du rugby du Nord, en dépit de leurs Grands chelems acquis en 2005, 2008 et 2012.

Et les Bleus ? Le brouillard semble envahir pour longtemps le ciel de France. On en veut pour preuve l’abaissement du Stade toulousain, qui, pour la première fois depuis la mise en place du professionnalisme, ne joue plus sur le devant de la scène. Son entraîneur emblématique, Guy Novès, n’a-t-il pas déclaré qu’il fallait revoir toute l’organisation du club après les récentes défaites, et s’adapter aux nouvelles exigences du rugby ? Il affirmait ainsi que Toulouse devait renforcer ses équipes en achetant des joueurs étrangers, son fabuleux centre de formation n’y suffisant plus.

Pendant ce temps, le président du champion d’Europe en titre (Toulon) ne trouve rien de mieux que de multiplier les insultes contre le rugby français, tandis que les membres de la fédération – sous l’influence de l’homme d’affaires Serge Blanco – lancent des appels à soutiens pour … construire un grand stade, dont ils espèrent de juteuses rentrées d’argent.

Le contexte général n’est décidemment pas favorable au Quinze de France. Mais gageons que ses joueurs de grande qualité relèveront le défi imposé par la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud en novembre prochain.

jeudi 28 février 2013

France : difficile reconstruction


          Trois défaites d’affilée dans le Tournoi. Nous laissons aux nouveaux commentateurs friands de statistiques historiques qu’ils ne comprennent pas le soin de trouver trace d’une telle bérézina dans le passé. Contentons-nous de dire qu’il faut remonter à Mathusalem pour déplorer pareille série. Ca fait loin…

Les débuts de Philippe Saint-André sont difficiles. Il doit tourner la page de la révolution permanente initiée par Bernard Laporte et renforcée par Marc Lièvremont, sous la houlette de l’ancien président de la fédération française de rugby. Douze ans de changements incessants dans l’équipe, de mises à l’écart d’hommes d’exception parce qu’ils avaient une méforme passagère… L’homme doit calmer les esprits. Il doit construire.

Pour ce faire, il s’appuie sur sa première tournée à l’étranger, celle en Argentine l’été dernier. Le championnat n’était pas terminé : il avait dû faire appel à des jeunes premiers ou à des anciens oubliés. Ces derniers avaient confirmé à l’automne (Michalak, Dulin, Machenaud…), puis déçu en début de Tournoi. Nouveaux changements contre l’Angleterre…


Le temps pour construire


     La cloche n’est pas encore bien réglée. Mais il ne nous semble pas que cette équipe de France puisse un jour encaisser cinquante points par la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, comme cela était le cas ces dernières années. Dans les trois matchs de ce Tournoi, les Bleus auraient pu gagner ou arracher un nul. Aussi étonnant que cela puisse paraître après les échecs récents, la politique de Saint-André est la seule à même de construire une équipe résistante à toute épreuve.

Que manque-t-il, hormis du temps ? Pour commencer, on observe une carence en joueurs. De toute évidence, Saint-André n’a pas la chance (gâchée par ses prédécesseurs) de pouvoir aligner des rugbymen exceptionnels comme Servat, Pelous, Galthié, Heymans, ou le Clerc des belles années.

Chez les avants en particulier, mis à part le magnifique Picamoles (qui n’est pas seulement pénétrant, comme on le lit ou l'entend dans la plupart des gros médias, mais très intelligent dans son jeu) ou Dusautoir, le pack français – si important pour le Quinze national – n’a pas la même niaque que celui des dernières décennies. En première ligne, nous ne parvenons pas à remplacer les Servat et Mas. En seconde ligne, nous n’avons toujours pas trouvé le digne représentant d’un Brouzet ou d’un Pelous.

Pour trouver un nouveau pack performant, Saint-André tente, cherche, tâtonne. Mais à force d’embaucher des joueurs étrangers, les clubs français freinent le renouvellement. Le réservoir n’est pas assez gros.
 
 
Des arrières monolithiques ?


    En revanche, manque-t-on vraiment de choix dans les autres lignes ? Le sélectionneur se plaint de ne pas avoir de joueur capable de taper des ballons lointains pour réduire la pression de l’adversaire. A-t-il bien regardé du côté de l’un des plus grands clubs de France, Toulouse, où joue un ouvreur au pied d’exception ? Lionel Beauxis est pourtant le seul numéro 10 français capable de trouver des touches de cinquante mètres quand le besoin s’en fait sentir. Le manque total d’indulgence dont on lui fait preuve (depuis le sélectionneur précédent) contraste avec les chances répétées laissées à un Trinh-Duc, par exemple.
En numéro 9, n’oublions pas le grand espoir Jean-Marc Doussain.

Enfin, les lignes arrières semblent manquer de cette fougue de mousquetaire qui est la seule à même de révolter nos joueurs. Pouvons-nous hasarder à dire que les Bastareaud, Fall, Fritz ou même la pile Fofana en manquent singulièrement ? Joueurs de qualité ils sont, mais cela suffit-il à faire un état d’esprit ? Pourtant, le choix est large. Des joueurs confirmés ont complètement disparu de la circulation : où sont passés les Maxime Médard, Alexis Palisson, Jean-Marcellin Buttin ?

Une équipe est un équilibre : il y a les êtres besogneux, les chevaux fous, les sages et les chefs. C’est quand le Quinze de France a su trouver une harmonie entre ces différentes énergies, avec un nombre suffisant de mousquetaires, qu’elle a été grande. Or, c’est cet équilibre qui semble manquer aujourd’hui à nos lignes arrière. On perd sans doute beaucoup à titulariser ensemble un Bastareaud et un Fritz, un Fall et un Fofana...
 

L’Angleterre de nouveau dominatrice, le retour de l’Ecosse


    Ce Tournoi fournit deux informations précieuses. La première, c’est que l’Angleterre domine de nouveau la scène nordiste. Sa progression n’est pas terminée, tant l’équipe est jeune, y compris dans le pack d’avants. Surtout, le rugby anglais semble s’être trouvé un nouveau Wilkinson en la personne d’Owen Farrell. Or, le Quinze à la Rose n’est jamais aussi fort que quand il possède un grand demi d’ouverture.

L’autre information de taille est la résurrection de l’Ecosse. Pour la première fois depuis l’entrée de l’Italie dans le Tournoi, le pays a très largement battu les Transalpins. Et il a enchaîné dans la foulée avec une victoire contre l’Irlande. Depuis quinze ans, l’Ecosse devait combattre pour éviter la cuillère de bois, et ce ne sera pas le cas cette année. Le pays est sur la bonne voie. L’essai de quatre-vingt dix mètres marqué contre l’Italie par Stuart Hogg – la future star au poste d’arrière – est le meilleur évènement qui soit pour ramener les jeunes écossais vers un sport national qu'ils avaient quelque peu délaissé.


 - Il reste deux journées à jouer :
Les 9 et 10 mars, Ecosse-Galles, Irlande-France et Angleterre-Italie
Le 16 mars, Italie-Irlande, Galles-Angleterre et France-Ecosse